Michelle MOREAU RICAUD Psychanalyste, Secrétaire analytique du Quatrième Groupe O.P.L.F. Collections et collectionneurs. Le cas de Sigmund Freud Discutant : Daniel HURVY, Psychiatre, psychanalyste
Les intérêts de Freud pour la littérature, les arts, la mythologie, l’archéologie, l’histoire de la civilisation et des religions, etc., sont bien connus, et peuvent se lire dans son corpus théorique. Cependant, son intérêt pour des objets antiques n’était longtemps connu que de ses proches. Un Freud collectionneur d’antiquités égyptiennes, grecques, romaines, nous a été révélé ces dernières années, grâce à la publication du livre d’Engelman, puis à l’ouverture au public de sa “dernière demeure sur la planète”, à savoir le Freud Museum à Londres et à l’exposition itinérante, organisée par ce musée. Ce côté intime de la personnalité de Freud s’est avéré à ma première visite, une découverte surprenante, étonnante, et a laissé des traces durables qui, en écho avec la clinique, m’ont fait interroger chez quelques « amateurs » d’art et de livres et particulièrement chez Freud, ce que W. Benjamin nomme la “pulsion collectionneuse”.
Bibliographie Edmund Engelman, Sigmund Freud, Wien IX Bergasse 19. State University of New York/Freud Museum, Sigmund Freud and Art. His Personnal Collection of Antiquities, 1989. by Musée Rodin Catalogue Rodin- Freud, 2009. Michelle Moreau Ricaud, Freud collectionneur, Paris, Campagne-Première, 2011.
Isée BERNATEAU* Proust et la séparation Discutant : Maurice CORCOS, psychiatre, psychanalyste
Dans À la Recherche du Temps perdu, la séparation n’est pas seulement un thème majeur, voire central, mais davantage l’enjeu même de l’écriture. Dans son projet comme dans son accomplissement, La Recherche, du temps perdu au temps retrouvé, est une œuvre qui lutte contre la séparation, mais qui, ce faisant, entend en triompher en l’acceptant comme un irrémédiable néanmoins réversible dans et par l’œuvre. Mais ce manifeste auto-proclamé de la séparation réussie ne dissimule-t-il pas son envers, c'est-à-dire la poursuite d’un commerce, par-delà la mort, avec un objet dont l’art célèbre et immortalise l’énigme ?
De Du côté de chez Swann jusqu’au Temps retrouvé, Proust déplie le processus de séparation comme s’il voulait en faire briller les multiples facettes. Son narrateur souffre d’une évidente « angoisse de séparation » qui résiste néanmoins à se laisser interpréter comme une banale angoisse au moment de l’endormissement. Le mouvement même de La Recherche montre que cette scène du coucher, répétitive et aliénante, empêche tout d’abord le roman de se déployer pour ensuite lui donner son souffle si particulier. Une analyse de la scène du coucher permet d’en repérer la dynamique inconsciente, ainsi que la distorsion de la logique œdipienne qui s’y opère, distorsion qui a comme conséquence de faire de la séparation un leitmotiv de la vie amoureuse du narrateur, au point qu’elle finit par être provoquée de peur d’être éprouvée. La Prisonnière et La Fugitive sont deux romans de la présence, puis de l’absence d’Albertine : elles explorent l’infini des potentialités que chacune d’entre elles recèle. La jalousie et l’emprise proustienne s’y déploient comme des tentatives pour entrevoir et entraver une séparation qui est tout autant nécessaire qu’impossible au narrateur.
*Isée Bernateau est psychanalyste et maître de conférences à l’université Paris 7-Denis Diderot. Elle a reçu le prix Pierre Mâle en 2008 et a publié L’adolescent et la séparation (PUF, 2010). Elle a collaboré aux 100 mots de la sexualité (PUF, 2011), sous la direction de Jacques André, et à La psychanalyse de l’adolescent existe-t-elle ? (PUF, 2010), sous la direction de Jacques André et Catherine Chabert.
Références bibliographiques ALBARET Céleste. Monsieur Proust. Paris : Robert Laffont, 1973. BARTHES Roland. Le Bruissement de la langue, Essais critiques, IV. Paris : Éditions du Seuil, 1984. BAUDUIN Andrée, COBLENCE Françoise. Marcel Proust visiteur des psychanalystes. Paris : PUF, 1999. BERNARD Anne-Marie. Le Monde de Proust, vu par Paul Nadar. Paris : Éditions du Patrimoine, 2003. BLOCH-DANO Évelyne. Madame Proust. Paris : Grasset, 2004. DAVENPORT-HINES Richard. Proust au Majestic (2006), trad. fr. de A. Zavriew. Paris : Grasset, 2008. GREEN André. La Lettre et la Mort. Paris : Denoël, 2004. GRIMALDI Nicolas, Proust, les horreurs de l’amour, PUF, 2008. JUFFE Michel et al. Expériences de la perte. Colloque de Cerisy-la-Salle. Paris : PUF, 2005. KRISTEVA Julia. Le Temps sensible. Proust et l’expérience littéraire. Paris : Gallimard, 1994. LEROUX-KIEKEN Aude. Imaginaire et écriture de la mort dans l’œuvre de Proust. Paris : Honoré Champion, 2005. PROUST Marcel. Correspondance avec sa mère (1887-1905). Paris : Plon, 1953. RICHARD François. « Un Remords de Proust. Contribution à la théorie psychanalytique de la création ». Adolescence, 2002, 20, 4, pp. 793-812. RICHARD François. « Trois Variations ». Libres Cahiers pour la psychanalyse, 2004, 10, pp. 87-99. SCHNEIDER Michel, Maman, Paris : PUF, 2005. TADIÉ Jean-Yves. Marcel Proust, I, II, Paris : Gallimard, 1996.
Paul DENIS Psychiatre, psychanalyste, Membre titulaire de la SPP. Paul Valéry et le divan du poème Discutante : Elisabeth BIROT, psychologue, psychanalyste
A l’été 1916 Paul Valéry est aux prises avec ce qui sera La Jeune Parque, il écrit à un ami qui l’invite à venir en Bretagne, décline cette invitation et se justifie ainsi : « J'ai là une sorte de poème qui ne veut s'achever, un monstre gonflé des loisirs de mon inutilité pendant la guerre. Sans «sujet », sans nom, sans âge certain, hydre indéfiniment extensible, qui se peut aussi couper en morceaux, - dont je ne dis pas que ce seraient autant de morceaux vivants ; bref, c'est aussi un train d'alexandrins (plus « réguliers » que ce n'est la mode), un train qui, pour ma stupeur, est sorti de mon long tunnel, un serpent de trucks, disons-le, chargés de toutes les sottises que je n'ai pas écrites pendant vingt et quelques années d'abstention et abstinences sérieuses... Qui me l'eût dit, j'aurais ri à son nez ! Mais enfin je suis excédé de cette involontaire Enéide. Et pourtant, il me choquerait de laisser en plan un si long discours sans motif. Passe temps, d'abord, puis un irritant exercice. Une scie, désormais. Mais où trouver la force d'y revenir sans dégoût, d'achever comme on fait d'une bête blessée ? Où reprendre l'appétit de s'y réattabler? » Hydre indéfiniment extensible, sans sujet, sans nom, … un train qui pour ma stupeur est sorti de mon long tunnel… involontaire Enéide… Ne pourrait-on voir là les métaphores de quelque processus analytique ? Engagement que l’on ne peut lâcher impunément… De là à imaginer que l’écriture de la Jeune Parque a été un temps d’autoanalyse pour Paul Valéry, c’est un pas que nous essaierons de franchir…
Bibliographie Paul Valéry : La jeune Parque.(1918). Gallimard Cahiers , La pléiade, Tomes 1 & 2. Gallimard Monsieur Teste (1926). Gallimard
4ème Colloque BABYLONE, Vérité et illusions à l’adolescence : terreurs et esquisse sauvage Maurice CORCOS Psychiatre, psychanalyste Rimbaud : on ne part pas ou le sang de l’exil Discutant : Gérard PIRLOT, psychiatre, psychanalyste
Les fugues incessantes d’Arthur Rimbaud étaient une façon de figurer dans l’espace, la nécessaire distanciation d’avec sa mère (qui finira par le récupérer jusqu’à le déterrer et le réenterrer dans le caveau familial), et la nécessaire proximité avec son père disparu qu’il cherchera dans tous les villages-casernes. Dans cette activité circulaire qui comprends départ et retour, risque et joie du départ, besoin de retour ensuite, Arthur a pu goûter l’ivresse de la répétition des commencements et conclure « dans le brisement de la grâce croisée de violences nouvelles » qu’ « on ne part pas ». Pressé de « trouver le lieu et la formule », le pubère « où circule le sang de l’exil et d’un père » s’est trouvé et perdu. Confronté au soleil noir de « la mère du devoir » » qui a « le regard bleu qui ment », il a fui pour mieux revenir et succomber dans « la défaite sans avenir ». Il aura beaucoup marché pour « distraire les embaumements tragiques » et les répugnances malsaines, de telle façon à ne jamais être à la place où on l’attend, celle christique que lui imposait sa mère et qu’il n’a pu éviter une façon d’être «hors d’atteinte» pour éviter l’aliénation au désir inconscient « à tombeau ouvert» de sa mère et verser dans le point mort de soi. On quitte d’abord un lieu où l’on étouffe dans l’air toxique de ses géniteurs, mais on ne part pas en quête d’autre chose, pour un autre être sauf si on est assuré de partir avec ses objets ou ses valises et seulement si l’objet a donné le visa de sortie. Sinon, on ne fait que partir sur place.
* : Pédopsychiatre, psychanalyste. PU-PH Chef du service de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte de l’Institut Mutualiste Montsouris, Paris 14ème. ** : Professeur des Universités, Université Paris 10-Nanterre
4ème Colloque BABYLONE, Vérité et illusions à l’adolescence : terreurs et esquisse sauvage Alejandro ROJAS-URREGO Psychiatre, psychanalyste Appelle-moi seulement amour et je serai rebaptisé Discutante : Anne-Marie SMITH**
« JULIETTE : (…) Roméo, enlève ton nom, Et en échange de ton nom, qui n’est aucune partie de toi, Prends-moi toute. ROMÉO : Je te prends au mot : Appelle-moi seulement amour et je serai rebaptisé ; Désormais plus jamais je ne serai Roméo. » (Roméo et Juliette. II, I, 89-92)
L’état amoureux à l’adolescence prend souvent la forme de la passion et les accents d’une tragédie. Il est aussi craint que recherché, non seulement en tant que retrouvaille et répétition, « réédition de faits anciens », mais aussi en tant que découverte nouvelle, dynamisme créateur, invention transformatrice. Il représente désormais un second baptême, une nouvelle naissance qui doit parfois dénier la première. Aimer, c’est renaître. Se défaire, afin de mieux se refaire, se récréer. Au risque, bien entendu, de se perdre pour toujours. L’état amoureux à l’adolescence s’impose à l’attention du psychanalyste. L’expérience clinique nous confronte parfois aux effondrements psychiques qui suivent aux déceptions amoureuses. Elles sont alors les révélateurs de la qualité des assises narcissiques des adolescents dont l’identité est en souffrance. Reviviscence plus que répétition. Dans ces situations où les représentations viennent à nous manquer, la littérature nous est souvent d’un grand secours. Elle peut nous permettre de commencer à mettre en mots une histoire qui n’en a pas. Chaque poète, chaque écrivain a une vision personnelle de l’amour. Quelques-uns en ont plusieurs et certains, parmi eux, réussissent à les faire incarner d’une façon naturelle, vivante et crédible dans leurs personnages. Chacun de ces derniers est alors l’amour en personne et, pourtant, si différent des autres… Shakespeare est dans ce territoire un maître absolu. Roméo et Juliette , sa pièce la plus régulièrement représentée, au même rang qu’Hamlet, souligne du début à la fin la présence des contradictions irrésolues dans l’amour. Vie et Mort. Jour et Nuit. Raison et Folie. Différenciation et Fusion. Amour et Haine. Signes et Caducité des signes. Naissance et Agonie… Un peu partout dans le monde, les jeunes gens s’identifient encore et toujours aux adolescents de Vérone. Avec la présence immanente de la vie et de la mort dans leur amour, Roméo et Juliette finiront par découvrir que l’on peut aussi mourir d’aimer.
* : Psychiatre, psychanalyste, membre de la Société colombienne de psychanalyse (SCP), Directeur de l'Institut, Full Member de l'Association Internationale de Psychanalyse (API) ** : Essayiste, traductrice, universitaire, Anne-Marie Smith a une double formation en littérature et psychanalyse; elle enseigne la littérature et la traduction littéraire à l'Institut Catholique de Paris