Interventions aux Séminaires Babylone

Etienne KLEIN - La pensée « musculaire » d’Albert Einstein - 4/12/2023 - [179]

Etienne KLEIN

physicien, philosophe des sciences et producteur de radio

La pensée « musculaire » d’Albert Einstein

Discutant : Yoann LOISEL, psychiatre, psychanalyste

On sait qu’Einstein a parlé tardivement, au point que ses parents s’en étaient inquiétés. À neuf ans, en dernière classe de l’école élémentaire, il s’exprimait encore difficilement. Il préparait sa phrase longuement, en remuant silencieusement les lèvres, retardait autant que possible l’instant de lui faire franchir le seuil de l’expression, puis, tout à coup, l’énonçait à voix haute. Il eut l’occasion de s’en expliquer avec le mathématicien français Jacques Hadamard, qui avait donné une série de conférences à Princeton sur la psychologie de l’invention dans le domaine des mathématiques et de la physique théorique. Hadamard avançait que les signes sont un soutien nécessaire de la pensée et que le système de signes le plus courant est bien sûr le langage proprement dit. Mais, ajoutait-il, la pensée, lorsqu’elle est inventive, use volontiers d’autres systèmes de signes, plus souples et moins standardisés que le langage ordinaire. En retour, ces systèmes ont la vertu de laisser davantage de liberté au mouvement de la pensée qui les produit – pensée créative, au caractère souvent discontinu et procédant par illuminations. Cette pensée-là est issue d’un long travail inconscient. Au moment où Hadamard mettait la dernière main à son recueil, il reçut les réponses d’Einstein à son questionnaire : « Les mots et le langage écrit ou parlé ne semblent pas jouer le moindre rôle dans le mécanisme de ma pensée. Les entités psychiques qui servent d’éléments à la pensée sont certains signes ou des images plus ou moins « claires » qui peuvent « à volonté » être reproduits ou combinés. Les éléments que je viens de mentionner sont, dans mon cas, de type visuel et parfois moteur. Il arrive même que ma pensée soit de type musculaire ». Autrement dit, la manière de penser d’Einstein, et d’inventer des "expériences de pensée", procédait d’une intelligence qui était non nécessairement verbale, du moins qui n’était pas d’emblée verbalisée. Tout le travail, ensuite, consistait pour lui à tenter de mettre ces idées « en langue », qu’il s’agisse de mots ou d’équations. Nous nous proposons de donner quelques exemples de ce processus.

Etienne KLEIN

 

Klein E. (2018). Le Pays qu'habitait Albert Einstein (Actes sud),

Klein E. (2021). Idées de génies (Champs-Flammarion)

Klein E. (2023). Courts-circuits (Gallimard).

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