- 07/12/2009 [88]
Silke SCHAUDER – Notes sur la poupée d’Oskar Kokoschka (1886-1980) – 7 décembre 2009 [88]
Silke SCHAUDER
Professeure des Universités, UPJV, Amiens, co-responsable pédagogique d’un DESU Art-Thérapie, psychologue clinicienne
« De l’étoffe dont sont faits les rêves… »
Notes sur la poupée d’Oskar Kokoschka (1886-1980)
Discutant : Maurice CORCOS, Psychiatre, psychanalyste
Leurre de l’amour, amour du leurre ? Oskar Kokoschka a éprouvé un tel amour fou pour Alma Mahler que trois ans après leur rupture catastrophique en 1914, il fait fabriquer par la couturière munichoise Hermine Moos une poupée, en toute part égale au modèle perdu.
Après avoir visité les lieux communs du fétichisme, du fétiche et de la poupée - gonflable ou non par l’affront de l’absence - j’aborde le geste de Kokoschka comme une performance, un acte à la fois artistique et éthique. En quoi cet acte subversif nous renseigne-t-il sur l’alchimie amoureuse et sa dimension, irréductible, d’illusion ? Sa poupée est-elle une métaphore du désir tragiquement inexaucé ? Et comment cet amour pathétique niant subtilement à la fois la perte et l’existence de l’autre a-t-il fini ? Voilà ce que nous dit Kokoschka dans ses mémoires :
« Je voulus mettre fin à l’existence de ma compagne sur laquelle couraient tant d’histoires étranges lors d’une grande fête réunissant mes amis, hommes et femmes. J’avais commandé un orchestre à l’Opéra ; les musiciens, en vêtements de cérémonie, jouaient dans le bassin de la fontaine baroque du jardin, les fossés pleins d’eau rafraîchissaient le soir brûlant. Nous avions tous beaucoup bu. On alluma les torches… Dans l’orgie, la poupée perdit sa tête et fut arrosée de vin rouge. Nous étions tous ivres. La police sonna à la porte très tôt le lendemain matin, alors que la fête déchaînée était presque oubliée. Les policiers voulaient tirer quelque chose au clair : on leur avait dit qu’il y avait un cadavre dans le jardin… J’ai demandé quel cadavre ?… nous descendîmes dans le jardin où était étendue la poupée, comme inondée de sang, la tête arrachée. Les policiers ne purent s’empêcher de rire, mais ils prirent quand même mon nom parce que j’avais troublé l’ordre public ».
Dans le débat, il sera alors question de fête sombre, de l’ivresse de l’autre et de cet oubli singulier que seul confère la passion amoureuse.
Repères bibliographiques
GIROUD, Françoise (1988). Alma Mahler ou l’art d’être aimée. Robert Laffont bouquins, Paris.
KOKOSCHKA, Oskar (1971). Mein Leben, trad.frs. Ma vie, 1986, PUF, Paris.
JAMAIN, Claude (2006). Le regard trouble. Essai sur la poupée d'Oskar Kokoschka. Précédé de Lettres à Hermine Moos par Oskar Kokoschka, Editions L’improviste, Paris.
LAUFER, Laurie (2004). "L’objet-fantôme, la poupée d’Oskar Kokoschka" in "Peurs et terreurs d'enfance", La Lettre de l'enfance et de l'adolescence, n° 56, Erès, pp.67-76.
MAHLER , Alma (1960). Mein Leben. Fischer, Francfort.
MAHLER , Alma (2010). Suites 1898-1902. Traduction en français du journal intime et préface par Alexis Tautou. Payot-Rivages, Paris.
MANKER, Paulus (1997). Alma. Göttin Monstrum Heilige. Die Witwe der 4 Künste. DVD, Hoanzl.
Choix de sites
www.alma-mahler.at dédiée à Alma Mahler.
www.museejenisch.ch, hébergeant la fondation Oskar Kokoschka.