SÉMINAIRE BABYLONE - Psychanalyse & Littérature – 7 mars 2016 [130]

Alexandre MOREL
Psychologue, psychanalyste, docteur en psychologie
Paysages des objets et paysages mentaux chez Jean ECHENOZ
Discutante : Isabelle NICOLAS, Psychiatre

"Le secrétaire vert occupe le fond d'une pièce austère dont la fenêtre commande une cour de caserne pavée, à part lui se trouvent deux chaises en tubulures et Skaï, trois armoires de classement à dossier suspendus, une tablette supportant un vieil et gros ordinateur malpropre. Tout cela ne date pas d'hier et le fauteuil du général n'a pas l'air bien douillet, ses accotoirs sont oxydés, ses coins fendillés laissent distinguer, voire fuir par lambeaux, son infrastructure en polyuréthane de la première génération". (Envoyée Spéciale, p.10)

Jean Echenoz "s'abstient", en considérant qu'il n'aurait guère de talent pour cela, de "faire de la psychologie à propos de ses personnages". La consistance de leur intériorité et de leur rapport au monde passe par un travail d'orfèvre décrivant les espaces, les objets qui enveloppent et situent ces êtres de papier dont la chair est toute pleine des mots comme de la musicalité de ceux-ci. Car, sans cesse, l'orfèvre chante et bat la mesure mais il semble à travers toute son œuvre que sa préférence va aux paysages du désordre, du rebut et d'une sourde désolation.

La somme de cette attention descriptive dessine des paysages d'une nature détaillée : une esthétique contemporaine des ruines qui emprunte autant à la photographie, au polar, à l'art conceptuel qu'aux tableaux d'Hubert Robert.
Dans ces intensités paysagères, les personnages, le plus souvent, sont encombrés, par le texte lui même qui semble sans cesse les estomper pour d'autres points d'attention, mais bien aussi entre eux: ils peinent alors à se rencontrer, souvent "s'en vont" et peuvent ainsi paraître toujours soumis au frôlement. Ici, la valeur économique d'un suspend de l'excitation permis par la description jouerait-elle un rôle utile de modération?
Ce qui, en écho de ces rencontres encombrées, questionne ce à quoi se trouve soumis le lecteur dans sa rencontre avec les textes d'Echenoz. En appui et parfois en ennui sur la constance d'une virtuosité du phrasé, l'œuvre évoluant semble prendre un plus grand poids de chair en sortant de la fiction et des pastiches pour aller rencontrer les "vies imaginaires" de personnages historiques. Ainsi, dans les romans les plus récents, la "méfiance du pathos" qui dicte la réticence à la psychologie laisse tout de même place à la fabrique d'intenses paysages intérieurs où, par delà le voile constant de l'humour, la mélancolie a enfin saisit le lecteur apathique que j'étais jusqu'alors.

Pour suivre ce parcours d'un lecteur de Jean Echenoz, on marquera de plus consistants arrêts à Lac (1989), à Je m'en vais (1999), à Ravel (2006) sans omettre de probables apports précieux de la récente Envoyée Spéciale (2016).
Le tout, aux Editions de Minuit dont le site donne des extraits des critiques et entretiens accompagnant la sortie des livres de Jean Echenoz.

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